Avec Claire, Cécile, Vincent et les autres…
par le Père François Marxer
Embarqués dans l’aventure baptismale (ce n’est pas une croisière ni un voyage d’agrément, hôtel-quatre-étoiles-car-pullman-tout-confort), c’est le périple de toute une vie qui apprend à devenir fidèle, de dimanche en dimanche. Embedded, comme dit le jargon des journalistes : parce que nul d’entre nous ne tient la gouverne ni ne dispose d’un GPS reposant et rassurant. La route n’est pas toute tracée d’avance ; au contraire, comme le rappelle Hadewijch d’Anvers, formidable mystique du XIIIème siècle, nous nous hâtons « sur le chemin obscur, /Non tracé, non indiqué, tout intérieur ».
Cette aventure, c’est d’entrer dans une histoire au long cours, dont vous seriez bien malin de pouvoir me dire où s’en trouve le commencement. Jésus ? Oui, d’accord ; mais Moïse ? et Abraham, et même Noé, et même avant, pourquoi pas ? Bref une histoire d’une telle amplitude – une histoire qui a du souffle ! – qu’elle est en rupture avec nos habitudes qui inévitablement ressassent, se répètent (avec leur lot de désolation, de fatigue, de lassitude). Tenez, cette femme de Samarie : venir chaque jour remplir sa cruche (et soupirer : ah ! si seulement j’avais l’eau courante à la maison dans ma cuisine), et puis surtout, se faufiler à midi, à l’heure la plus chaude, quand il n’y a personne dans les rues qui puisse m’apostropher ou ricaner, parce que ma vie n’est pas toujours très propre. Protéger à tout prix mon petit secret, de tant d’amours toujours déçus, jusqu’à ce que ce Prophète de passage que j’ai trouvé sur la margelle de ma vie, le découvre d’un coup, sans me cuisiner, ni m’incriminer ni me faire violence.
Prendre pied dans cette histoire au long cours pour la traverser (et avec mon baptême commence la traversée : je vais passer – c’est la Pâque – par les eaux de la mort ; mais je ne serai pas acculé à la détresse, ni moi, ni les autres embarqués avec moi, tous ceux-là dont les archives (la Bible) me font souvenir. Souvent admirables de ténacité et d’espérance – mais il y a aussi des minables. C’est pareil dès qu’on rassemble de l’humanité, et ici on ne trie pas, on ne sélectionne pas. Alors Simon Pierre et ses compagnons, le cœur sur la main, Joseph le taciturne, David le glorieux, Josué le téméraire, et la ribambelle des prophètes de tout acabit, grands et petits, foudroyants ou consolants : tous, même les meilleurs, ont leur face sombre, des abîmes parfois tourmentés, et chacun voudrait bien s’en défaire (la lâcheté, l’inconstance) pour retrouver la lumière, la pureté de la lumière.
Mais est-ce tant la peine que cela ? Bien plutôt c’est la Lumière qui vient à toi, ce n’est pas toi qui désembues l’opacité de tes yeux, c’est la Lumière qui désencombre ton regard des écailles qui l’obstruent. Alors tu vas t’essayer à aimer cette Lumière, à aimer Dieu à ta façon, tant bien que mal. Tu fais des progrès (sans trop les afficher quand même), et tu en arrives à désirer Dieu. Certes oui, tu es alors embarqué dans l’aventure, mais sache bien que si tu t’essayes à aimer, c’est parce que Dieu te désire d’un grand désir : « Donne-moi à boire », il te le demande. « Comment ça ? tu me demandes à moi, une créature de rien du tout, pas intéressante au fond ! » Et il récidive, quand on a cru pouvoir en finir avec ce grand soleil chargé d’amour, en le clouant comme une chouette sur une porte de grange : « J’ai soif. » Et la porte s’est ouverte, c’était la porte du Paradis, la porte de la vérité ; et toi, tu es sorti du royaume de l’ombre, comme Lazare, le vieux Lazare, emmailloté comme un nourrisson : c’est ta naissance, ta nouvelle naissance.